Spasojević: Y a-t-il des crimes acceptables?

07. aoû 2021.
Texte écrit par l'ambassadeur de la République de Serbie en Grèce Dušan Spasojević pour le quotidien grec «Efimerida ton Sintakton».

Depuis 26 ans, chaque 4 août apporte de nouvelles festivités du côté croate et de nouvelles blessures et souffrances du côté serbe. Ce jour-là, la Croatie célèbre le «Jour de la libération», tandis que le peuple serbe se souvient avec tristesse de ses maisons dont il a été expulsé, pleure ses morts et se tourne vers le ciel demandant justice.

L'action militaro-policière Tempête a mis fin à la guerre civile sur le territoire de la Croatie actuelle, mais elle a laissé plus de 220 000 civils serbes innocents sans abri et sans souvenirs. Ce jour-là, près de 200 000 membres des forces armées croates ont attaqué la zone protégée de l'ONU, connue sous le nom de Republika Srpska Krajina, où il y avait environ 30 000 combattants serbes. Après une lutte inégale qui a duré plusieurs jours, le peuple serbe, qui avait vécu dans cette région pendant des siècles, a formé une colonne sans fin, fuyant vers la République Srpska et plus loin vers la Serbie. Plus de 220 000 civils ont fui leurs maisons lors du plus grand nettoyage ethnique d'Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Plus de 2 000 civils ont été tués et nombreux en sont toujours portés disparus. Les soi-disant «fosses de jardin», tombes dans lesquelles étaient jetés les corps des civils tués, qui se trouvent partout où l'armée croate est passée, n'ont jamais fait l'objet d'enquêtes.

Le bilan de cette action est dévastateur. Les membres du peuple serbe, qui représentaient plus de 12 pour cent de la population croate, ont été réduits à 2 pour cent. Des villages serbes ont été incendiés, des biens pillés et 80 églises orthodoxes détruites. Tout a été fait conformément au concept monstrueux de Mile Budak, l'un des idéologues du mouvement nazi, oustachi, selon lequel «le problème serbe en Croatie devrait être résolu en en tuant un tiers, en en expulsant un tiers et en en convertissant un tiers (au catholicisme).»

Ces jours-ci en Croatie, membre de l'UE et de l'OTAN, règne l’ambiance de célébration et de glorification de la persécution. La chorégraphie est présente de la Seconde Guerre mondiale, restée en mémoire par le mal, quand il existait en Croatie le seul camp d'enfants, majoritairement serbes, en Europe. Sur les ossements de plus d'un demi-million de personnes tuées dans le système des camps de concentration de Jasenovac, les drapeaux flottent à nouveau de ceux qui ont inventé le «coupe-Serbes» un dispositif spécial pour tuer les Serbes orthodoxes.

En revanche, la voix des Serbes exilés ne se fait pas entendre. Pour les crimes commis pendant la Tempête, les commandants de l'armée croate ont d'abord été condamnés à La Haye, mais en deuxième instance, par un coup de mystère et par un nouveau vote au tribunal, ils ont été légalement libérés. La Croatie est membre de l'UE, et beaucoup en Europe ne se soucient pas du fait que des ossements non enterrés de la Seconde Guerre mondiale et de la Tempête se trouvent encore partout dans ce pays. Ignorant ce qui précède, la question se pose de savoir si l'inexistence du retour des exilés est acceptable, ainsi que l'échec à résoudre la question de la propriété privée des Serbes, même si la propriété privée est le fondement de l'Europe d'aujourd'hui. On ferme les yeux devant les symboles nazis et des représentants du système basé sur l'antifascisme viennent au défilé célébrant la persécution des civils en tant qu'invités respectés et bienvenus.

Aujourd'hui, la Serbie n'impose à personne ce qu'il doit être fait et ce qu'il doit être célébré, mais demande seulement au monde civilisé de faire preuve de respect envers les victimes. Nous appelons nos voisins à ne pas célébrer et jubiler des exilés, des vieillards et des enfants tués. La paix dans la région ne se construit pas en versant du sel sur une plaie ouverte, en l'occurrence la plaie ouverte du peuple serbe. Pour cette raison, le 5 août, la Serbie et la République Srpska marquent le Jour du souvenir des exilés. Une journée au cours de laquelle nous nous inclinons tous devant le sort de ceux qui, pour la deuxième fois au 20e siècle, ont été contraints de fuir leur foyer pour sauver la vie. Aujourd'hui, la Serbie et la République Srpska réclament à voix haute la justice, réclament l'humanité, réclament ce sur quoi l'Europe repose - le respect des droits de l’homme fondamentaux. Le droit à la justice. Le droit de vivre sur son propre terrain. Le droit de jouir de sa propriété, le droit à sa langue et à l'usage de son alphabet. Le droit d'être baptisé, marié et enterré dans les églises orthodoxes, dans les villages où nous avons toujours vécu. Respectant les victimes des autres, réclamant justice pour ses victimes, la Serbie est aujourd'hui le seul pays de l'ex-Yougoslavie qui œuvre sincèrement sur la réconciliation dans la région, réconciliation fondée principalement sur l’idée que toutes les victimes méritent d'être vénérées.

La réponse à la question de la première phrase de ce texte est «oui». Il suffit de sataniser un peuple, comme ce fut le cas avec le peuple serbe au début de la dernière décennie du siècle dernier, et alors tout est permis. Meurtres, persécution, nettoyage ethnique. Ensuite, la phrase «nous devrions porter de tels coups que les Serbes disparaissent pratiquement», prononcée par le président croate à l'époque Franjo Tudjman dans la préparation de la Tempête, ne suffit pas à provoquer au moins une condamnation morale du monde civilisé. Lorsque vous satanisez un peuple, alors même les rues portant le nom de «héros» nazis, comme Mile Budak et Andrija Artuković, ne sont pas un obstacle dans un État membre de l'UE.

Récemment, la nouvelle est apparue que la pièce en euro croate présenterait l'image d'un Serbe, le fils d'un prêtre orthodoxe serbe, Nikola Tesla, né sur le territoire de la Croatie actuelle. On passe sous silence que la famille du célèbre scientifique a été massacrée pendant la Seconde Guerre mondiale par les oustachi croates, et que l’on a fait explosé le monument de son village natal Smiljan, au début du conflit en Croatie en 1992, parce que son origine serbe dérangeait ceux qui le mettent fièrement aujourd’hui sur l'euro.